Un article dans le journal Science vient de d’énoncer certains des critères définissant la Silicon Valley.
Voici la traduction en français de cet article intitulé “Where is Silicon Valley“, paru dans Science le 6 Février 2015 qui traite de la définition géographique et empirique de la Silicon Valley. J’ai pris quelques libertés avec la traduction : certains termes trop techniques ou idiomatiques ont été retirés et certaines références directement incorporées aux texte.
N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires ou suggestions.
Le texte original est disponible ici (accès payant).
Où se situe la Silicon Valley ?
Prédire et cartographier les qualités entrepreneuriales,
par Jorge Guzman (MIT Sloan School of Management, MA-USA)
et Scott Stern (National Bureau of Economic Research, MA-USA)
Bien que les économistes, les politiciens et les capitaines d’industrie n’aient cessé de mettre en avant l’importance de l’entrepreneuriat, définir et caractériser correctement ce dernier s’est toujours avéré périlleux. Les études passées ne sont parvenus a établir de façon systématique les relations entre le genre d’entrepreneuriat à fort impact, que l’on trouve dans les régions telles que la Silicon Valley, et la prévalence générale de l’entrepreneuriat au sein de la population. Cela a d’importantes conséquences : les chercheurs aboutissent à différentes conclusions quant aux rôles et aux motifs qui caractérisent l’entrepreneuriat, et les décideurs font face à des recommandations contradictoires sur le besoin ou la manière de promouvoir l’entrepreneuriat a des fins de progrès économique et social. Afin de sortir de cette impasse, nous introduisons une nouvelle méthode pour étudier la création et la croissance des projets entrepreneuriaux.
Jusqu’à présent les études se sont portées sur la quantité des projets entrepreneuriaux (par exemple : le nombre de nouvelles entreprises par habitant dans une région donnée), tandis que nous nous intéressons a leur qualité. Plutôt que de supposer que tous les projets ont initialement une probabilité de succès égale, notre méthode nous permet d’estimer leur probabilité de croissance en se basant sur données publiques, disponibles à leur création ou peu après. Nous mettons en œuvre notre approche en nous servant du registre d’immatriculation des entreprises [for-profit] de Californie entre 2001 et 2011, combiné avec des données issues de l’office de brevets américain et de l’utilisation de SDC platinum [NdT : logiciel d’extraction de données]. Nous établissons nos prédictions sur la bases d’un nombre restreint de traits caractéristiques des start-ups :
(i) le nom donne a l’entreprise, en particulier s’il est éponyme (nommée d’après son fondateur), s’il est long ou court, s’il est associé a des activités locales ou historiquement relié à la localité (par exemple : pressing ou produits manufactures) ou bien a des de pôles technologiques. [note : notre utilisation des noms d’entreprises se base sur la présomption que les entrepreneurs choisissent le nom de leur entreprise de manière a créer un signal pour leurs consommateurs, leurs investisseurs et leurs employés, et qu’il néfaste de se faire passer pour un autre genre d’entreprise.]
(ii) sous quel statut l’entreprise s’est fait enregistrer, en particulier s’il s’agit d’une société anonyme (plutôt qu’une société en nom commun ou qu’une société a responsabilité limite [LLC] ) et si elle est enregistrée dans l’état du Delaware. [note : de nombreuses compagnies à forte croissance sont enregistrées dans le Delaware, où les lois sur les sociétés sont avantageuses en vertu d’un vaste corpus juridique. Les investisseurs (VC) préfèrent souvent que les entreprises s’établissent dans le Delaware]
(iii) selon que l’entreprise ait déjà établie des droits a la propriété intellectuelle avant son premier anniversaire.
Afin de s’assurer que nos estimations reflètent la qualité intrinsèque d’une start-up en un endroit donné plutôt que de supposer que sa localisation confère d’office à une start-up un certain niveau de qualité, nous excluons de nos paramètres les éventuelles mesures economiques spécifiques locales. Nous estimation de la qualité entrepreneuriale dépend de la probabilité de donner lieu à des marqueurs de croissance très positifs [définie comme l’introduction en bourse ou son acquisition dans les 6 ans suivant sa création] en se basant sur des caractéristiques propres aux start-up. Cet algorithme prédictif et non-local peut dès lors être utilisé pour caractériser de façon indépendante la qualité des sociétés et leur localisation.
Estimation des qualité entrepreneuriales. Nous estimons les qualités entrepreneuriales avec un modèle de régression logistique en sélectionnant au hasard un échantillon de 70% parmi toutes les sociétés immatriculées durant la période 2001-2006 (en mettant de côté les 30% restant pour constituer un ensemble-test). Notre modèle incorpore les enregistrement de sociétés et de brevets en sein d’une même régression, tous les coefficients restant significatifs a plus de 95% [tableau S1, voir suppléments]. Lorsque l’on considère les noms d’usage des sociétés, les sociétés éponymes ont 70% moins de chance de croitre que les sociétés non-éponymes, tandis que les sociétés ayant des noms courts ont 50% plus de chances de croitre que les compagnies aux noms plus longs, et le sociétés dont les noms incluent des mots associés aux clusters technologiques ont 92% plus de chances de croitre que les autres. Un coup d’œil sur les détails juridiques et la propriété intellectuel montre que les sociétés ont >6 fois plus de chances de croitre que associations, et les firmes qui ont une marque déposée ont >5 fois plus de chances de croitre que celles qui n’en n’ont pas. L’octroi de brevets ainsi que l’immatriculation dans le Delaware ont un rôle prépondérant : chaque facteur pris séparément peut être associé a un facteur 25 dans la probabilité de croissance. Présents simultanément, ils multiplient par 200 la probabilité de croissance.
Afin de valider ces résultats, nous estimons la qualité entrepreneuriale de l’échantillon-test initialement exclu de notre régression, et nous comparons nos prédictions sur la qualité entrepreneuriale aux résultats de la distribution. Notre estimation de la qualité entrepreneuriale est fortement liée aux résultats pris hors de l’échantillon: 76% de tous les résultats de croissance sont dans les 5% supérieurs de la distribution caractérisant la qualité entrepreneuriale, et en particulier 56% des membres du 1% supérieur. Mettant en exergue l’incertitude extrême que l’on associe à l’entrepreneuriat, les chances de croissance restent rare : même au sein du 1% supérieur de la qualité entrepreneuriale estimée, une société typique n’a que 5% de chance d’afficher des chiffres de croissance. Cela est cohérent avec les résultats récent montrant que la croissance des start-up est fortement biaisée par rapport la croissance globale des sociétés – la loi de Gibrat.
Cartographier l’entrepreneuriat. L’essentiel de notre analyse se porte sur un ensemble d’entreprise pris avant qu’elle n’aient pu déjà atteindre la croissance (c’est a dire sur les start-ups entre 2007 et 2011). Nous estimons la qualité entrepreneuriale de chaque société et nous calculons la qualité entrepreneuriale moyenne estimée des sociétés pour chaque ville, et séparément, par code postal. Ces scores peuvent être interprétés comme le nombre attendue d’évènements de croissance pour 100 start-up dans l’ensemble 2007-2011.
La qualité moyenne au sein des villes est présentées dans la première illustration. La Silicon Valley se démarque des autres régions de Californie : les start-ups situées a Menlo Park, Mountain Viex, Palo Alto et Sunnyvale ont 20 fois la qualité entrepreneuriale moyenne des villes médianes, et 90 fois celle des villes de Californie en bas de classement. Parmi les grandes villes, San Francisco présente une qualité entrepreneuriale près de 8 fois supérieure à celle de Fresno. La qualité entrepreneuriale est cartographiée pour la région de San Francisco en fonction du code postal sur la seconde illustration. La qualité entrepreneuriale est clairement supérieure dans la zone couvrant le Nord de San Jose jusque San Francisco, avec un amas de très forte qualité entrepreneuriale entre le Sud-Est de Google (ou les anciens locaux de Fairchild [NdT : centre historique de la Silicon Valley]) et Millbrae/Burlingame.
En comparaison, la région de Los Angeles a un niveau de qualité entrepreneuriale bien inférieur [tableau S2, voir suppléments]. Les grandes zones économiques peuvent varier de façon considérable entre terme de qualité. Nous avons étudié les relations statistiques entre la qualité et la quantité [illustration S3, voir suppléments] : au mieux, ces relations sont faibles et peu significatives. Il est intéressant de constater dans l’ensemble de ces régions, la qualité entrepreneuriale est centrée autour de centres de recherche, comme les universités et les laboratoires nationaux : Stanford est au cœur de la Silicon Valley; l’université de Berkeley (UCB), le Lawrence Livermore, Caltech, l’université de Los Angeles (UCLA) et UC Irvine sont chacun le terreau d’une région dotée d’une qualité entrepreneuriale significative.Implications. En se concentrant sur la qualité entrepreneuriale, nous pouvons évaluer plus clairement le rôle de la localisation et des institutions dans la croissance des sociétés. Par exemple, notre méthode nous permet d’estimer l’avantage statistique que confère la localisation, considéré comme étant la différence entre la croissance attendue et observée pour une région donnée. Entre 2001 et 2006, la Silicon Valley a eu 60% d’évènements de croissance que ne le prédit notre modèle, tandis que Los Angeles en a eu 13% de moins que prévu. Notre méthode peut être étendue à l’évaluation de la qualité entrepreneuriale pour un niveau de ségrégation arbitraire (par exemple : une rue de Palo Alto en particulier [illustration S4, voir suppléments]). Cela facilite un traitement plus fin des dynamiques entrepreneuriales, en permettant de distinguer empiriquement (bien que de façon non-causale) les différents endroits avec un haut niveau de granularité.
Finalement, au-delà de la caractérisation de la Silicon Valley, nos résultats mettent en lumière le rôle des centres de recherche comme centres de qualité entrepreneuriale. Caractériser les relations entre la qualité entrepreneuriale et la présence d’activité de recherche aux alentours est une piste prometteuse pour des études futures. Bien qu’il faille être prudent quant à l’emploi de ces outils pour la prise de décision économique (par exemple, comment introduire du biais dans les dynamiques entrepreneuriales), mettre en évidence les conditions qui facilitent la croissance peut avoir des conséquences importantes pour les décideurs et les acteurs locaux.
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Commentaires du traducteur
C’est une étude intéressante qui tente de définir les caractéristiques d’une start-up, base sur des critères discutables mais qui semblent produire un modèle prédictif fonctionnel au niveau local. Il est important de ne pas tirer de conclusion hâtives sur les conditions d’émergences de la croissance. Les seules conclusions que l’on peut tirer de l’article, c’est qu’il y est possible de définir a partir de quelques éléments objectifs ce qu’est une start-up, de déterminer les endroits ou elles sont le plus nombreuses, et constater qu’elles sont toujours a proximité d’importants centres de recherche (surprise!).
Sans un profond respect pour l’analyse bayésienne, je ne me priverais pas de tirer des conclusions du genre post hoc ergo propter hoc et écrire un livre intitulée” : “Start-up road to success : short name, patents and Delaware incorporation” et rejoindre Tim Ferriss au panthéon des auteurs a succès.
Si l’on regarde attentivement les illustrations, on constate que la qualité entrepreneuriale des entreprises de San Francisco ne semble pas refléter l’impression que dégage un visite de SOMA. Cela tient au fait que l’échantillon 2007-2011 présente, par construction, un délai de quelques années, alors l’invasion de San Francisco par les tech start-ups n’a débute que récemment (tout comme silicon-valley.fr:). On pourra également regretter que l’analyse se limite à la seule Californie, a l’heure ou émergent de nombreux cyber districts calques sur la Silicon Valley, comme la Silicon Alley (New-York), la Silicon Forest (Portland, OR), la Silicon Prairie (Interstate 29), ou le Silicon Sentier (Paris). Comme pour San Francisco, la Silicon Beach (Los Angeles) ne semble pas encore briller sur le tableau dressé pour la Californie, vraisemblablement pour des raisons similaires.
Bonus. Saviez-vous que le terme “Silicon Valley” fut invente par Ralph Vaerst en 1971 ?
Voici le premier article de journal faisant mention de ce terme devenu symbole :
Qu’elle était verte ma vallée…
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